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29 septembre 2016 4 29 /09 /septembre /2016 18:37
Franco Fagioli - Rossini - Un bel exercice de style.

Le projet est alléchant, et l'idée fait saliver. Rendre à la voix d'homme ce qui aurait (peut-être) dû revenir à la voix d'homme dans certaines oeuvres de Rossini, en proposant des pièces rares ou des airs alternatifs, a tout pour séduire à la fois le musicologue et l'amoureux du chant, surtout quand ce chant est offert par Franco Fagioli.

Rossini a bien évidemment connu le temps des castrats, et la petite histoire raconte qu'il s'en fallut de peu qu'il en devint un lui-même. Doté d'une très belle voix lorsqu'il était enfant, un de ses oncles, barbier de son état, aurait fortement suggéré que ce "don du ciel" devait perdurer, nécessitant ainsi une amputation sans rémission possible. Fort heureusement, sa sainte mère s'y serait opposé, et l'opéra y gagna peut-être en épithètes dithyrambiques ce que le compositeur aurait perdu en attributs. Légende ou vérité, l'anecdote est parlante. Car si Rossini ne se priva pas de composer pour le dernier castrat "star assoluta", Giambattista Velluti, il ne lui offrit que deux oeuvres : Aureliano in Palmira en 1813, et la cantate Il vero omaggio en 1822. Ce n'était en rien un problème de qualité vocale pour Velluti (qui créa Il crociato in Egitto de Meyerbeer en 1824, un an après Semiramide qui marque, pour Rossini, la fin d'un style, voire d'une époque), ce ne pouvait être qu'un choix délibéré. Préférence fut en effet donnée, pour certains rôles masculins tels Tancredi ou Arsace, à des cantatrices. Franco Fagioli a fait le choix de remplacer une certaine ambiguïté par une autre, chanter des rôles d'hommes composés pour des femmes avec une voix d'homme culminant dans les hautes sphères de la tessiture. Et, vocalement comme stylistiquement parlant, le pari est réussi.

Ce n'est pas vraiment une surprise. À la différence de beaucoup de ses confrères contre-ténors, il n'a pas commencé par le baroque. Dans son Argentine natale, on ne connaissait guère les oeuvres de Vivaldi ou Cavalli. En revanche, le bel canto romantique y était roi et l'Instituto Superior de Arte du Teatro Colón de Buenos Aires lui permit de se former auprès d'une soprano et d'un baryton nourris à cette école. C'est d'ailleurs avec un concert où il interprétait Rossini et Meyerbeer qu'il explosa à Pesaro en 2014. Il est donc chez lui dans ce répertoire, et cela s'entend. Il peut aborder des oeuvres peu jouées, comme Demetrio e Polibio où il chante le rôle de Siveno, créé par Marianna "Anna" Mombelli en 1812, ou Adelaide di Borgogna, qui le voit prendre les habits d'Ottone, personnage chanté pour la première fois par Elisabetta Pinotti le 27 décembre 1817. Ou encore Eduardo e Christina, donné en primeur à Venise le 24 avril 1819, et chanté par Carolina Cortesi. Plus connu aujourd'hui, grâce aux enregistrements laissés par Massis ou Peretyatko, Matilde di Shabran vit Annetta Parlamagni incarner le rôle d'Edoardo lors de la création romaine du 24 février 1821. Et enfin des ouvrages bien connus comme Tancredi (mais pas avec le célèbre Di tanti palpiti, mais avec le récitatif et air alternatifs O sospirato lido !...Dolci d'amor parole) ou Semiramide qui offre le seul "tube" du disque avec Eccomi alfine in Babilonia... Ah! quel giorno ognor rammento.

Partout, Fagioli est à son aise, insolent d'aisance dans l'ornementation soigneusement travaillée, chaque note étant "pensée" pour avoir sa vie propre, soit par un vibrato différencié, soit par l'ajout d'un trille, soit par une accentuation savamment choisie. Quant à la tessiture, on ne peut que s'incliner face à cette voix dont la longueur semble infinie, avec des aigus pleins et charnus qui semblent être pour lui une formalité. Et cette plénitude se retrouve sur tout le spectre, jusqu'à l'extrême grave. Technique parfaite, voix superbement maîtrisée, style en totale adéquation avec les oeuvres, nous aurions tout pour être comblés.

Mais j'écris "nous aurions", car après de nombreuses écoutes, il me manque quelque chose d'essentiel. Ce quelque chose que le travail musicologique ne peut offrir seul, que même la splendeur vocale ne peut donner quand elle n'est pas au service de ce qui devrait primer : l'émotion. J'entends une exceptionnelle démonstration, je salue la performance, mais je reste extérieur à ce qui m'est proposé. Et plus grave, je n'entends guère de différence d'interprétation entre Siveno, Arsace, Eduardo, Tancredi, Ottone ou Edoardo. Je n'y vois pas "d'incarnation", comme si le texte était sans importance. Bien entendu, il n'est que secondaire dans des airs conçus pour mettre en valeur les richesses de la voix mais tout de même, Ottone est un empereur allemand, pas un jeune homme amoureux. Et je me dis qu'un auditeur qui découvrirait cette musique avec ce disque pourrait très bien penser qu'il s'agit d'extraits d'un même ouvrage, chantés par le "rôle principal". J'ai le corps, je n'ai pas l'âme.

Mais peut-être que pour offrir cela, il eût fallu qu'il fût aidé par un orchestre, et surtout un chef, d'une autre envergure. Je passe par charité sur le choeur, hétérogène et dont les voix sonnent souvent détimbrées, et qui hache à peu près toutes ses interventions. Mais autant Fagioli recherche la finesse, l'élégance, autant George Petrou semble diriger l'Armonia Atenea avec une cognée, confondant ensemble instrumental supposé magnifier du Rossini avec harmonie municipale de village intervenant après le vin d'honneur. Écoutez les récitatifs...ce n'est plus une ponctuation relançant le discours du soliste, c'est un festival de chutes de couperets de guillotines. Et tout l'accompagnement, ou presque, est de la même veine, martelé, sans nuances (une seule tentative de "crescendo rossinien" avortée), et surtout sans phrasé. La barre de mesure est reine, elle qui n'est qu'une indication et devrait être oubliée, surtout dans le bel canto romantique. Et quand, en plus, la partition nous gratifie d'interventions solistes qui devraient être, elles aussi, "belcantistes", les oreilles saignent. Comment, aujourd'hui, un cor naturel peut-il sonner aussi faux que dans l'introduction du Ah, perchè, perché la morte de Matilde di Shabran ? Et pire, comment accepter un premier violon aussi approximatif et pleurnichard que celui qui donne le pourtant superbe solo amenant le O sospirato lido ! de Tancredi ? Il est certain qu'avec un tel "tapis" orchestral derrière lui (et même parfois"derrière" dans le tempo...), Franco Fagioli n'a pas été aidé.

Est-ce pour cette raison que ce disque, enregistré en novembre 2015 au Megaron Concert Hall d'Athènes, a mis autant de temps à être diffusé, sa publication étant plusieurs fois retardée ? Je l'ignore, mais le résultat est là. On ne peut que regretter qu'un tel artiste n'ait pas bénéficié d'une phalange d'un tout autre niveau, qui a probablement montré ses qualités ailleurs mais qui, là, saccage trop souvent un programme qui avait tout pour être magnifique. Et, probablement, enlevé à Franco Fagioli beaucoup de l'âme qu'il aurait voulu y mettre. 

Reste tout de même un artiste exceptionnel, mais dans un disque qu'il vaut mieux, à mon avis, ne pas écouter d'une traite, mais oeuvre par oeuvre, pour éviter de dire trop souvent : "Mais quel dommage !". Et attendre le prochain...avec un autre orchestre.

 

 

 

1 CD Deutsche Grammophon/Universal 479 5681.

 

Sortie le 30 septembre 2016.

 

© Franz Muzzano - Septembre 2016. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

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9 septembre 2015 3 09 /09 /septembre /2015 23:10
Julie Fuchs ou l'invitation à l'insouciance.

On ne l'attendait pas forcément dans ce répertoire, et pour un premier disque sous le label à l'étiquette jaune, ce récital est une sorte de pari qui, en d'autres temps pas si lointains, l'aurait définitivement cataloguée. Un enregistrement des mélodies de jeunesse de Mahler et Debussy, sorti en 2013 chez Aparté, était passé un peu inaperçu. Mais depuis, une "Victoire de la Musique", catégorie artiste lyrique en 2014, l'avait consacrée, confirmant celle de la "Révélation" obtenue en 2012. Et, surtout, elle avait intégré la troupe de l'Opéra de Zurich avec tout ce que cela suppose d'apprentissage et de visibilité à la fois. Résultat ? Suzanna des Nozze, Marzelline de Fidelio, Angelica d'Orlando, Rosane de La Verità in Cimento ou Morgana aux côtés de l'Alcina de Cecilia Bartoli. Et une carrière lancée, qui la verra cette saison aborder la Contessa d'Il Viaggio a Reims, reprendre une Musetta déjà donnée à Nantes, et surtout aborder Lucia à Avignon. De quoi concocter un programme de "présentation", avec pour seul risque celui de la comparaison, largement tempéré par les promesses qu'il aurait suscitées. Mais non, Julie Fuchs a osé se lancer dans tout autre chose, en proposant un florilège de ce qui se chantait à Paris après le cataclysme de la Grande Guerre.

Les "Années Folles" pouvaient tout se permettre, le traumatisme de l'horreur des tranchées devait être, sinon oublié, du moins soigné par l'insouciance. Les Américains avaient importé le jazz, le Caf' Conc' et le Music Hall avaient imposé des codes. Des compositeurs et des librettistes intelligents allaient faire la synthèse, sachant très bien que le scandale du Sacre en 1913 était digéré, tout comme les grandes cavalcades d'Offenbach appartenaient déjà à l'Histoire de la Musique. Yvonne Printemps, Alice Cocéa, Florelle, Edmée Favart ou Simone Simon s'emparaient des ritournelles de Maurice Yvain, Henri Christiné, Casimir Oberfeld, Kurt Weill ou Reynaldo Hahn sans toujours se rendre compte qu'elles interprétaient parfois de purs bijoux. Une voix lyrique nourrie à Mozart pouvait leur redonner toutes leurs couleurs, et ce fut le projet de Julie Fuchs.

On sera en droit de regretter le titre choisi pour ce récital. Au Yes ! d'Yvain ouvrant le programme, certes utilisant l'orchestration "jazz-band" un peu trop fabriquée pour être réellement endiablée, qui remplaça les deux pianos de la création, aurait pu se substituer le magique Mon bel inconnu du tandem Reynaldo Hahn/Sacha Guitry, qui n'est pas si loin que cela de la Barcarolle des Contes d'Hoffmann. Mais ce n'est qu'un détail. Dès la deuxième plage la magie opère grâce à André Messager et à son Amour masqué, dans lequel Yvonne Printemps mettait Paris à ses pieds en se plaignant d'avoir deux amants. La "Comédie Musicale" était née, et l'avènement du "parlant" au cinéma allait la propulser au premier plan. Mais si Messager est aujourd'hui reconnu comme un maître (sa carrière de chef d'orchestre n'y étant pas pour rien), Oberfeld, Yvain et même Christiné restent de bons "faiseurs", loin des finesses proposées par Reynaldo Hahn. Et l'un des grands mérites de ce disque est de les allier à des compositeurs considérés comme "sérieux" qui, parfois, se sont amusés à démontrer qu'ils pouvaient ne pas l'être. Et avec quel génie ! Le Poulenc des Litanies à la Vierge Noire pouvait aussi, en 1947, proposer dans les Mamelles de Tiresias l'un des premiers manifestes réellement "féministe" (oublions Carmen...) de l'Histoire de la Musique. Et Denise Duval était déjà sa muse, avant Blanche de la Force ou la délaissée de La Voix Humaine. Quant à Honegger, il pulvérisait avec Les Aventures du Roi Pausole son image de protestant austère, quelque peu décalée dans le prétendu "Groupe des Six". Mais il pouvait, avec Willemetz, composer une sublime musique sur le thème d'un roi bénéficiant d'un harem de 366 femmes. Et que dire de Ravel, touché dans sa propre chair par la Grande Guerre ? Pouvait-il, avec Colette, proposer plus bel hymne à la liberté (et à une certaine forme d'anarchie) que L'Enfant et les Sortilèges ? Ici, c'est le personnage du Feu qui est offert, avec sa colorature flamboyante et mystérieuse à la fois. Et puis, la France avait découvert les Ballets Russes, et adapté certaines oeuvres, tel Le Coq d'Or de Rimski-Korsakov dont L'Hymne au Soleil fit le bonheur de cantatrices aussi différentes que l'exubérante Lily Pons ou Eide Norena, plutôt "feu sous la glace". Dans ce répertoire, Julie Fuchs est dans son élément, comme dans les deux extraits de La Veuve Joyeuse. Mais le monde si particulier de L'Opéra de Quat'Sous lui convient-il ? La version française avait vu Florelle en Polly Peachum et Bill-Bocketts en chanteur des rues pour La Complainte de Mackie. Florelle, l'inoubliable Fantine de la plus belle version cinématographique des Misérables, signée Raymond Bernard en 1932, avait imposé la gouaille, le parlé/chanté, la "déclamation" des faubourgs qui, le temps d'une mélodie, donnait à la Chanson de Barbara une couleur unique.

 

Quant à la Complainte de Mackie, s'il faut trouver une voix de femme à l'époque pour en donner toute la saveur, qui d'autre que la grande Damia ?

 

Seuls bémols à ce programme par ailleurs passionnant, avec peut-être aussi la version française de No, No, Nanette Tea for Two devient Thé pour Deux, ce qui en soit ne poserait pas de problème si le texte ne comportait pas des passages amenant des rimes douteuses (Je vous vois déjà chez nous/Buvant du thé sur mes genoux/Avec du cake/Et des p'tits gâteaux secs...). Vraiment, personne n'aurait crié au scandale si la version originale avait été chantée...

 

Mais pour le reste, tout le reste, le pari est réussi. L'Orchestre National de Lille, dirigé par Samuel Jean, s'adapte à chaque style avec bonheur, et les interventions de Stanislas de Barbeyrac ou d'Annick Morel sont bien venues. Mis à part un aigu final un peu bas dans l'Air de Vilja de La Veuve Joyeuse, la voix de Julie Fuchs est délicieusement fruitée, agile et qui plus est sa diction est parfaite, dans des livrets pas toujours très aisés (ni très heureux). Des pépites, je l'ai dit (Messager, Hahn, Ravel, Poulenc, Honegger), et des mélodies à redécouvrir. On pourra regretter un ton un peu uniforme, et peut-être aussi, malgré l'ambition initiale, une certaine retenue, une forme de réticence à se "lâcher" dans les couplets les plus osés. Julie Fuchs aurait pu être parfois plus "coquine", et oublier qu'elle est une soprano colorature estampillée "lyrique". Elle essaie, pourtant, mais n'ose pas aller au bout de son idée. Elle le fera probablement en concert, si elle offre une tournée avec ce programme. Qui est en tout cas passionnant, ne serait-ce que par la comparaison qu'il propose avec les récitals enregistrés récemment d'airs de la même époque, mais chantés de l'autre côté du Rhin. On y trouvait toujours une tonalité douce-amère, un sentiment d'urgence, des teintes grisées qui montraient bien que la crise était là, et que les années y étaient tout sauf folles. En France, dans le camp des vainqueurs, c'était l'insouciance, le temps des plaisirs et la certitude que le pire était passé. Le temps de l'optimisme, mais aussi de l'imprévoyance et d'un certain aveuglement. Mais cela est une autre histoire...

 

 

Decca - Deutsche Grammophon. Sortie le 11 septembre 2015.

 

© Franz Muzzano - Septembre 2015. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

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26 avril 2015 7 26 /04 /avril /2015 22:06
C'est le printemps, alors parlez-moi d'Amour !

Petite parenthèse heureuse en ces temps de grisaille, et nulle analyse aujourd'hui. Simplement, je voudrais saluer un disque qui fait du bien. En trois CD, Decca propose de célébrer l'Amour, à travers un florilège allant du lyrique à la chanson française, en passant par le jazz. La pochette et les dessins intérieurs sont signés Wolinski, courbes tendres sur un tapis de fleurs. Comme un symbole...

Chacun ira vers son genre de musique favori, bien entendu, mais les passerelles se feront d'elles-mêmes. Car les morceaux choisis sont judicieux.

Bien entendu, les questions de droits et d'exclusivités ont exclu de cette sélection quelques moments qui sembleraient indispensables. Le "classique" n'en souffre pas, les interprètes "maison" ayant suffisamment couvert le répertoire. Le jazz offre une succession de perles fines constituant un sublime collier à offrir à celle qu'on aime, et qui ne peut finir que comme unique vêtement. Mais quelques regrets accompagnent l'écoute de la partie "chanson française". Non que les titres choisis ne soient pas des merveilles, bien au contraire (à l'exception, peut-être, de Tout l'amour par Dario Moreno, un peu hors de propos au vu du voisinage). Mais comment, dans cette compilation de chansons qui visite un âge d'or, se passer de Brassens (pour La non-demande en mariage ou Bonhomme), de Barbara (Dis, quand reviendras-tu ou, surtout, le sublime À peine) de Reggiani ou du trop peu écouté aujourd'hui Charles Dumont ? Oui, question de droits, probablement. Un seul Brel (Quand on n'a que l'amour, mais pas La quête), aucun Piaf...Gréco, en revanche, a la part belle avec quatre titres, dont un Parlez-moi d'amour aussi suggestif que son Déshabillez-moi. Ferré a droit à trois chansons, et l'on retrouve Ferrat, Salvador, Montand côtoyant Félix Leclerc ou le trop méconnu Areski Belkacem. Alors oui, on déplore des absences, mais ce qui nous reste est tout de même du domaine patrimonial.

Côté lyrique, "l'écurie maison" est de sortie, avec de beaux, voire de très grands moments. Retrouver le duo Tom Krause/Lucia Popp dans Là ci darem la mano provoque à la fois plaisir et émotion et on ne se lassera jamais de O soave fanciulla quand il est chanté par Freni et Pavarotti. Bergonzi et Tebaldi pour Madama Butterfly, Fleming, Von Otter, Garanca, Crespin dans un extrait des Trois valses, Alagna pour sa version d'Una furtiva lagrima tirée d'un manuscrit de Donizetti retrouvé par Evelino Pido avec ses variations, Pollet et Lakes pour Les Troyens...du beau monde (même si je m'étonne du choix de Gheorghiu en Gilda, certes honorable, mais quand on a Anderson, pour ne rien dire de Sutherland, au catalogue...).

Mais, toujours un peu frustré par des extraits d'opéras sortis de leur contexte, je garderai d'abord précieusement le CD "jazz", avec sa collection de pépites. Le Fever de Peggy Lee donne le ton, et anciens et modernes se succèdent pour près d'une heure de bonheur absolu qui rendrait amoureux les plus blasés. Armstrong, Nat King Cole, Madeleine Peyroux, Aretha Franklin, Sarah Vaughan (Tenderly !!!), Nina Simone, Ella  Fitzgerald, Getz et Gilberto, Etta James, Diana Krall, Melody Gardot...Déjà, la liste donne envie de préparer les cocktails et de tamiser les lumières.

Et chacun pourra se faire sa propre sélection en mélangeant les genres, en inventant une histoire, qui pourrait commencer par Deh, vieni, non tardar et se poursuivre par Let's fall in love, Parlez-moi d'amour, Je te veux, Déshabillez-moi, Teach me tonight...Faites votre propre menu, il y a de quoi déguster plusieurs festins !

Compilation pour grand public, oui, mais intelligemment pensée et sans démagogie putassière. Alors...Try a little tenderness !

 

 

 

 

 

Decca Records/Universal Music - Sortie le 27 avril 2015.

 

© Franz Muzzano - Avril 2015. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

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6 février 2015 5 06 /02 /février /2015 00:05
Pumeza "Voice of Hope" - Nobody knows...

Assurément, l'histoire est belle. Née dans un township de Cape Town en 1979, Pumeza Matshikiza a grandi dans un univers de pauvreté et de violence, subissant les dernières années de l'apartheid. Une scolarité chaotique, une entrée un peu par hasard et sur le tard au collège de musique, un voyage à Londres et l'oreille de Kevin Volans, un compositeur qui se trouve être son compatriote. S'ensuit une bourse accordée par un généreux mécène et trois années d'études au Royal College of Music, avant de rejoindre en 2007, et diplôme en poche, l'atelier des jeunes chanteurs de Covent Garden. Une première expérience sur la scène du Royal Opera House, comme Blumenmädchen dans Parsifal, un premier prix au concours Veronica Dunne de Dublin en 2010 qui lui ouvre les portes de l'Opéra de Stuttgart, où elle chante ses premiers rôles, dont Pamina, Zerlina, Ännchen, entre autres. Elle est remarquée lors de sa première Mimi au Festival d'Edinburgh, et accessoirement, est invitée à chanter au mariage d'Albert de Monaco. Chaperonnée par Rolando Villazon, avec qui elle effectue une tournée en 2014, elle vient de se produire aux Folles Journées de Nantes et aux Victoires de la Musique. Excellente manière de promouvoir ce disque, dont le titre, Voice of Hope, peut être interprété de deux façons.

Message d'espoir, évidemment, montrant qu'il est possible de sortir par le haut de l'enfer des pires ghettos grâce à la musique (même si elle ne faisait pas partie des plus défavorisés, comptant déjà des artistes dans sa famille). Mais si ce "Hope" veut aussi signifier "espoir dans l'avenir", ou "l'une des grandes cantatrices de demain", comme j'ai pu le lire, on est en droit d'être plus circonspect.

Car, enfance mise à part, une fois entrée dans une école de musique, son parcours est semblable à celui de centaines de jeunes cantatrices qui travaillent aujourd'hui dans différentes troupes, alternant parfois choeurs et rôles solistes, sans pour autant que Decca ne leur signe un contrat pour un premier récital...Alors, Pumeza (et sa plastique avantageuse) est-elle un simple produit marketing, ou bien une véritable découverte promise au plus bel avenir ?

Il est très difficile de répondre à cette question, même après de nombreuses écoutes de ce disque. Les studios font des merveilles, et surtout ceux, légendaires, d'Abbey Road. Que peut donner cette voix sur une scène, dans la continuité d'un ouvrage ? Et quatre extraits "lyriques" sur un total de quinze pistes, c'est un peu court pour se faire une idée. Surtout quand O mio babbino caro est proposé sans la moindre nuance, dans un mezzo forte permanent et dénué de toute émotion (avec, en plus un ultime Pietà bizarrement détimbré, comme si elle perdait l'appui...). Ou un Signore, ascolta certes plus habité, mais dans lequel on attend vainement le début d'un piano (la nuance finale étant audiblement à mettre au crédit de l'ingénieur du son) et où la pureté de la ligne sur le ha pietà ! final est brisée par une respiration et un coup de glotte là aussi pour le moins gênants. Mimi est mieux servie, avec un Donde lieta usci joliment conduit, et enfin des nuances. De toute évidence, avoir chanté le rôle en scène lui permet d'aborder l'air avec une assurance et un sens du personnage que l'on ne trouvait pas dans ses autres Puccini. Mais avant cela, nous avons dû subir un Vedrai, carino de bout en bout soporifique, à mille lieues des intentions coquines plus que suggérées de Zerlina. Il est clair que Pumeza ne comprend tout simplement pas la signification de ce qu'elle chante, avec ce phrasé métronomique et cette diction syllabique. La maîtrise de la langue italienne est d'ailleurs plus que problématique, et si cette lacune peut encore passer dans les douceurs pucciniennes, chez Mozart, elle ne pardonne pas.

 

Les onze autres plages du disque nous font voyager du chant traditionnel (Thula Baba) au répertoire de Miriam Makeba, dans des arrangements subtils mais qui ne font guère oublier les versions originales. Simplement parce que Pumeza ne parvient pas à laisser de côté qu'elle est devenue une chanteuse "lyrique", et tout cela sonne bien trop "propre" et lisse. Il suffit d'écouter le célèbre Pata Pata pour s'en convaincre. Quant aux quelques "songs" en anglais, s'ils sont eux aussi très joliment orchestrés, ils passent sans émouvoir ni déranger, en un mot ils sont oubliés sitôt écoutés. Ces pièces bénéficient en revanche d'un excellent accompagnement, que ce soit celui de l'Aurora Orchestra ou du Royal Liverpool Philharmonic, tous deux dirigés par Lain Farrington. Je n'en dirai pas autant du traitement infligé aux quatre airs d'opéra par Simon Hewett à la tête du Staatsorchester de Stuttgart. Que ceux qui ont massacré le travail d'Yvan Cassar sur le récent disque de Roberto Alagna écoutent ce que donne du Puccini quand on l'assassine.

Ces nombreuses et sévères réserves sont d'autant plus tristes à formuler qu'il est indéniable qu'elle possède un grain de voix remarquable (à défaut d'un vrai "timbre" égal), sur lequel se greffe un vibrato bien maîtrisé. Mais comme il est difficile de juger sur quatre airs qui ne sollicitent pas la longueur de la voix, tous étant construits sur une tessiture plutôt centrale, il l'est tout autant de se prononcer sur ses véritables moyens et les rôles qui lui conviendraient. J'en arrive même à me demander si elle ne serait pas plus mezzo que soprano, entendant plus une richesse de la fondamentale grave qu'une réelle extension possible vers l'aigu. L'écoute attentive et bienveillante, mais rigoureuse, d'un professeur semble indispensable pour que cette voix au matériel indiscutable ne se perde pas, comme tant d'autres avant elle. Et surtout, pour commencer, que certains arrêtent de la comparer, voire de lui promettre une carrière identique, à une Price ou une Bumbry. Comme si la couleur de peau était un déterminisme...

Un disque malgré tout attachant, où l'on trouvera ça et là de jolis moments, et d'indéniables promesses. Si un vrai travail est effectué, et sans trop tarder.

 

© Franz Muzzano - Février 2015. Toute reproduction interdite sans autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

 

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Présentation

  • : Les Chroniques de Franz Muzzano
  • : Écrivain, musicien et diplômé d'Histoire de la Musique, j'ai la chance, depuis plus de 40 ans, de fréquenter les salles de concerts et les maisons d'opéras, et souvent aussi leurs coulisses. J'ai pu y rencontrer quantité d'artistes, des plus grands aux plus méconnus. Tous m'ont appris une chose : une passion n'a de valeur que si elle se partage. Partage que je vais tenter de vous transmettre à travers ces chroniques qui relateront les productions que j'ai pu voir ou entendre (l'art lyrique y tenant une grande place). Mais aussi les disques qui ont contribué à me former, tout comme les nouveautés qui me paraîtront marquantes (en bien ou en mal). J'évoquerai aussi certaines grandes figures du passé, que notre époque polluée par les "modes" a parfois totalement oubliées. Je vous proposerai aussi des réflexions sur des aspects plus généraux de la vie musicale. Tout cela dans un grand souci d'impartialité, mais en assumant une subjectivité revendiquée. Certaines chroniques pourront donc donner lieu à des échanges, des débats contradictoires, voire des affrontements qui pourront être virulents. Tant que nous resterons dans la courtoisie, les commentaires sont là pour ça. Et vous êtes les bienvenus pour y trouver matière à vous exprimer. En n'oubliant jamais que la musique n'est rien sans les artistes qui la font vivre et qui nous l'offrent. Car je fais mienne la phrase de Paul Valéry : "Aujourd'hui, nous n'avons plus besoin d'artistes. Mais nous avons besoin de gens qui ont besoin d'artistes".
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