Quand, gamin, on apprenait l'Histoire de la Musique en feuilletant les catalogues de disques (époque bénie où les éditeurs étaient nombreux et les dits catalogues gratuits), lorsque l'on arrivait aux pages Bach ou Couperin chez Archiv ou Erato, impossible de la rater. Comme Rampal, Marie-Claire Alain, Paillard et d'autres, elle explorait un monde dont, à l'époque, on ne jouait que peu de pièces et bien souvent toujours les mêmes. Sans révolutionner l'interprétation, sans faire beaucoup de bruit, Huguette Dreyfus aura pourtant été une figure essentielle du renouveau de la musique dite "ancienne".
Née à Mulhouse, elle avait commencé le piano très jeune et étudié avec Lazare Lévy, camarade de classe de Cortot, Ravel ou Pierre Monteux. Elle en gardera toute sa vie un goût pour la musique de son temps. Mais c'est en suivant les cours d'esthétique de la Musique de Roland-Manuel au Conservatoire de Paris qu'elle apprend que Norbert Dufourcq ouvre, en 1950, une classe éphémère consacrée à Johann Sebastian Bach, à l'occasion du bicentenaire de sa mort. Sa route est tracée d'autant que dans le même temps, elle a abandonné le piano pour le clavecin et a pris le chemin de L'Academia Chigiana de Sienne, dans la classe d'été de Ruggero Gerlin, héritier de Wanda Landowska. Années de "vacances studieuses" puisque les journées se terminaient par des sessions improvisées avec les autres élèves ou les Maîtres de passage. Abbado ou Mehta côtoyaient Segovia, André Navarra, Gina Cigna et même Enesco qui vint y passer quelques jours en 1954, sous l'oeil bienveillant du propriétaire du Palais, le Comte Guido Chigi Saracini. Ces leçons prises avec Ruggero Gerlin seront les seules qu'elle suivra durant toute sa vie. Et elles lui suffiront pour qu'elle remporte, en 1958, le concours international de clavecin de Genève.
Sa discographie, abondante, va de Monteverdi et de la famille Bach jusqu'à Bartok (grandiose transcription d'extraits des Mikrokosmos souhaitée dans sa préface par le compositeur lui-même) et Dutilleux. Et sa vie de déroula entre concerts et enseignement (commencé très jeune, elle disait avoir donné ses premiers cours à l'âge de quatorze ans !), dans des institutions telles que le CNSM de Lyon, la Schola Cantorum ou la Sorbonne. Parmi ses nombreux élèves, on trouve Christophe Rousset ou Olivier Baumont. Tous savent ce qu'ils lui doivent.
Comme tous les défricheurs, à l'image des Robert Veyron-Lacroix, Jean-Pierre Rampal, Maurice André, Jean-François Paillard, elle fut un temps quelque peu dénigrée par certains qui jugeaient cette génération "datée". Cette époque est heureusement révolue, les censeurs se sont auto-détruits, et elle restera comme une immense musicienne toute de modestie, bien qu'ayant joué avec les plus grands, comme Szeryng, Boulez, Melkus, Rogg, Adorjan et bien d'autres. Une de celles sans qui bien des pièces du répertoire pour clavecin seraient peut-être aujourd'hui toujours sous la poussière des bibliothèques.